Complainte de la Lune, Jules Laforgues, 1885 Ah ! La belle pleine lune, grosse comme une fortune ! La retraite sonne au loin, un passant, monsieur l'adjoint ; un clavecin joue en face, un chat traverse la place : la province qui s'endort ! Plaquant un dernier accord, le piano clôt sa fenêtre. Quelle heure peut-il bien être ? Calme lune, quel exil ! Faut-il dire : ainsi soit-il ? Lune, ô dilettante lune, à tous les climats commune, tu vis hier le Missouri, et les remparts de Paris, les fiords bleus de la Norvège, les pôles, les mers, que sais-je ? Lune heureuse ! Ainsi tu vois, à cette heure, le convoi de son voyage de noce ! Ils sont partis pour l'écosse. Quel panneau, si, cet hiver, elle eût pris au mot mes vers ! Lune, vagabonde lune, faisons cause et moeurs communes ? ô riches nuits ! Je me meurs, la province dans le coeur ! Et la lune a, bonne vieille, du coton dans les oreilles.