Ballade à la Lune, Alfred de Musset, 1827 C'était, dans la nuit brune, Sur le clocher jauni, La lune Comme un point sur un i. Lune, quel esprit sombre Promène au bout d'un fil, Dans l'ombre, Ta face et ton profil ? Es-tu l'œil du ciel borgne ? Quel chérubin cafard Nous lorgne Sous ton masque blafard ? N'es-tu rien qu'une boule, Qu'un grand faucheux bien gras Qui roule Sans pattes et sans bras ? Es-tu, je t'en soupçonne, Le vieux cadran de fer Qui sonne L'heure aux damnés d'enfer ? Sur ton front qui voyage, Ce soir ont-ils compté Quel âge A leur éternité ? Est-ce un ver qui te ronge Quand ton disque noirci S'allonge En croissant rétréci ? Qui t'avait éborgnée, L'autre nuit ? T'étais-tu Cognée A quelque arbre pointu ? Car tu vins, pâle et morne, Coller sur mes carreaux Ta corne A travers les barreaux. Va, lune moribonde, Le beau corps de Phébé La blonde Dans la mer est tombé. Tu n'en es que la face Et déjà, tout ridé, S'efface Ton front dépossédé... Lune, en notre mémoire, De tes belles amours L'histoire T'embellira toujours Et toujours rajeunie, Tu seras du passant Bénie, Pleine lune ou croissant. T'aimera le pilote, Dans son grand bâtiment Qui flotte Sous le clair firmament. Et la fillette preste Qui passe le buisson, Pied leste, En chantant sa chanson... Et qu'il vente ou qu'il neige, Moi-même, chaque soir, Que fais-je Venant ici m'asseoir ? Je viens voir à la brune, Sur le clocher jauni, La lune Comme un point sur un i.